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Voyage inédit dans une contrée qui n’a de cesse d’intriguer, d’attirer ou d’inquiéter… Mais qui ne laisse pas de fasciner. En Iran tout reste à découvrir du trek, que ce soit sur son volcan sacré, le Demâvand, ou bien dans ses déserts à l’aridité absolue et insondable.
Vers Kâchân la pittoresque
Visite des « hôtels particuliers » de Kâchân. Ces demeures de notables sont de superbes exemples de l’architecture traditionnelle née aux abords du désert : Maison Abbâssiân, Maison Tabâtabâï, Maison Boroudjerdi… Première découverte des « bâd guir », ces « tours éoliennes » dont la fonction est de capter le moindre brin d’air soufflant au-dessus des toits pour les orienter à l’intérieur des habitations.
Plus au sud c’est Naïn avec son imposant fort de Nârandj Ghal’eh. Un échantillon de ces fortifications de pisé dont la citadelle de Bam est l’exemple le plus illustre. La forteresse est postée à l’entrée de la vieille ville en ruines abritant la grande mosquée où l’on peut admirer une citerne enfouie (« sardâb »). Mostafa fait provision de gros blocs de glace qui iront dans un frigo volumineux en polystyrène disposé à l’arrière de la voiture. Une précaution vitale si l’on ne veut pas se désaltérer à l’eau devenu désormais brûlante dans les bouteilles. Direction Anârak, porte du Dasht-e Kévir. Au bord de la route surgissent à intervalles réguliers les « âb anbâr » (citernes) désaffectés bâtis pour la plupart au 17e siècle. Le paysage du kevir se forme, posé sur un horizon noyé par les vents de sable. Anârak, ancien site minier, se déploie sous une vieille tour de guet arborant sur ses toits en pisé la mer des tours éoliennes. Une illustration parfaite de l’architecture kevirie que l’on retrouve également non loin à Farahzâd et Mesr, ces deux autres perles du désert.
Forêt de tours éoliennes
Mostafa me raconte que c’est ici qu’il a accompagné Bernard Ollivier, journaliste et globe trotter français, auteur de « La grande marche », lors de sa traversée de l’Iran dans son grand périple sur la route de la soie.
On traverse des montagnes, on dépasse des cols, le relief se déforme puis s’aplanit à nouveau. Le chaudron du Kévir se rapproche insensiblement avec ce souffle brûlant qui court en continu sur votre peau. En entrant dans Tchoupânân Mostafa me raconte avec un air amusé comment les villageois ont tenté de convaincre Bernard Ollivier de se convertir à l’Islam. Peine perdue avec le vieux renard des sables ! Émerveillement encore à Tchoupânân devant le spectacle des toits hérissés d’une forêt de tours éoliennes. La piste s’enfonce dans un pays de nulle part. Mais l’oeil vigilant de Mostafa vient de déceler une véritable curiosité. Il freine doucement et me pousse hors de la voiture, mon boîtier sur le cou, me désignant à quelques mètres un énorme lézard se dandinant entre les ronces. Le varan marque une pause aussi stupéfait que je le suis. Le temps pour moi de déclencher avant que le saurien ne lâche un sifflement retentissant et ne disparaisse derrière un buisson de tamarix. Sur son passage le sable présente de part et d’autres des ouvertures béantes. « Serpents » répond le guide à mon oeil in terrogateur. On reprend la route.
Vers l’enfer minéral du Kévir
Chemin faisant Mostafa me parle des sourciers du désert, les « moghanni ». Ces soutiers du kévir perpétuent une technique millénaire. Ils descendent dans les puits d’amenée d’eau, en provenance des montagnes, revêtus d’un linceul blanc, comme s’ils effectuaient leur dernier voyage dans les entrailles de la terre. Se frottant aux serpents et scorpions alors qu’ils déblaient la voie des conduits souterrains. Un moghanni, assure Mostafa, est capable, rien qu’en observant le relief, de deviner si l’eau y coule ou si le sol est desséché. Le ghanât, galerie des eaux souterraines, est ce lien vital entre l’homo kévirien et les réservoirs d’eau de pluie des lointains sommets.
Un voile laiteux s’est installé dans le ciel. On boit de l’eau en quantités invraisemblables. La surface de la peau devient un champ perpé tuel d’évaporation.
Nous dépassons Djandagh. Mon guide plaisante en déclarant que nous sommes dans le « baraghout » (pétaouchnok) du kevir. Au loin, une barre aux tons de nacre annonce l’approche d’une tempête de sable. De temps à autre, sur des murs de brique en ruine on peut lire des inscriptions engageant les fidèles à faire preuve de vertu et de respect pour les préceptes de la foi. D’autres sont millénaristes : « ô Imam de la Fin des Temps, précipite ton avènement ! ». La désolation a envahi la plaine. A perte de vue ce sont des bouquets de ronce qui se fondent au ras du sol avec la poussière en lévitation.
Dans le coeur du « chaudron »
A l’arrivée à Farhzâd, une vision surréaliste : une vieille Citroën, pièce de musée couverte de rouille et déglinguée, passe à côté de la Patrol.
Bivouac à Amir Âbâd. Nuit étouffante. Tôt le matin l’oeil perçant (sans jeu de mot facile) de Mostafa a reconnu un chat sauvage qui rôdait tout près du campement. Le temps qu’il vienne me secouer sous la tente le félin s’est évanoui dans les buissons. Une apparition exceptionnelle. Dépité je me rabats, à l’heure du petit déjeuner sur la quête de scorpions en retournant méthodiquement des souches vermoulues entassées à l’entrée du village. Un fermier, perplexe, s’approche et au spectacle de mes vaines recherches finit par m’apprendre que ce n’est pas encore… la saison.
On est à 900 m d’altitude. On traverse, sous la masse incandescente du soleil, un « rigzâr » (« champ de graviers »). Mostafa s’est enfoncé dans un mutisme qu’il convient de respecter. Nous sommes au coeur du chaudron et les distances sont considérables. La chaleur a desséché les tamarix qui, de vert gazon ont viré au roux brun. Devant c’est le vide total. Mostafa évoque des coins du Dasht-e Kévir où la carcasse des dromadaires abandonnés est restée intacte sous le feu du ciel n’autorisant aucune décomposition ni aucun réflexe organique.
Bayaziyeh. Nouveau village de pisé, nouvelle merveille de fortification fantomatique. En cours de restauration, elle serait vieille de 3000 ans.