Guepard iranien

UN ANIMAL, UNE CULTURE : UN PATRIMOINE VIVANT, Une fois n’est pas coutume, Persépolis – Takht e Djamshid s’élance ce mois-ci à la poursuite de la préservation d’un “monument du patrimoine mondial de l’humanité” d’un genre un peu particulier, puisqu’il s’agit de celui du plus rapide des animaux dont il ne reste plus que quelques individus sauvages sur la planète. Or il se trouve qu’une poignée d’entre eux se trouve justement dans les steppes désertiques du Nord et du Centre du Khorasan : le guépard d’Asie!

Le dernier congrès mondial de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) s’est tenu en Septembre dernier à Marseille et ses conclusions concernant l’accélération de la disparition de milliers d’espèces animales sont si alarmantes, qu’il nous a semblé bon de partir à la découverte de ce félin mythique aujourd’hui classé en rouge dans la catégorie des animaux menacés d’extinction.

S’il est officiellement protégé en Iran depuis 2001, le guépard demeurerait impitoyablement recherché pour la beauté d’une fourrure qui reste un symbole de réussite sociale, mais un certain nombre de bonnes volontés ont pris le relais de tenter de freiner sa disparition en menant avec des moyens limités des actions exemplaires.

1. ACINONIS JUBATUS. UN CHASSEUR AU SERVICE DES CHASSEURS

Ainsi nommé parce que ses griffes ne se rétractent pas, le guépard est plus proche des pumas et des chats que des autres grands félins et on le trouve aujourd’hui principalement en Afrique, tandis que son cousin le guépard asiatique occupe plutôt les zones sèches de l’Est oriental. L’ingénieur Thierry Buquet a longuement décrit dans ses études les pratiques de chasses orientales : les guépards sauvages étaient très nombreux au Moyen-Âge, tant en Syrie, qu’en Irak, en Jordanie et dans les déserts de ce qui était alors la Perse.  Thierry Buquet cite notamment Ibn Mangli, un célèbre auteur irakien du 14éme siècle, qui fait l’éloge des guépards de la Samawa, censés être les plus beaux : «  le corps svelte et les membres effilés, ils ont une robe blanchâtre aux mouchetures rares.  Certaines femelles sont capables de tenir le train après les gazelles une journée entière. Ces guépards ont longue échine et longue queue ; haussant le col pour aveuer, on les prendrait pour des marionnettes ; se retournant, leur échine se love comme un serpent et leur queue, dressée, rappelle une lance. C’est, certes, de toutes les races, la plus belle, la meilleure pour le courre et la plus digne de louanges. »

Réputé pour sa rapidité, puisque lancé à quatre-vingt kilomètres heures après le lièvre, la gazelle ou l’antilope qu’il vient d’apercevoir, le guépard est un carnassier qui atteint et égorge sa proie en quelques secondes. C’est aussi depuis l’antiquité, une véritable légende vivante.

Etudiant lui aussi le phénomène des chasses royales sous plusieurs angles, historique, politique et culturel, l’historien antique Xénophon révèle qu’elles avaient d’autres objectifs que celui de la nourriture. Pratiquées par l’aristocratie, elles étaient un modèle pour l’entraînement militaire et l’exercice de la diplomatie. Cette fonction était particulièrement valable pour les sociétés steppiques. Il ajoute que CYRUS “avait un palais et un grand parc rempli d’animaux”. Ces animaux pouvaient être les auxiliaires des chasseurs. Le mot “paradis” vient d’ailleurs du grec paradaisos, qui signifie enclos mais qui le tenait lui-même du vieux persan “paradaiza “qui lui, signifiait “terrain de chasse royale”.

Qu’elle fût chez les Sassanides au sanglier, à l’antilope ou au lièvre, la chasse royale n’était pas seulement une démonstration de pouvoir, elle avait pour fonction de prouver “ la capacité à projeter le pouvoir à distance”.

Ainsi très tôt s’opérât–il un véritable trafic autour des animaux sauvages qui permettaient de la mener. La chasse royale elle-même donna naissance à une culture de la chasse : les échanges de cadeaux entre souverains incluaient des animaux comme des chiens, des faucons et des guépards, mais bien sûr aussi les dresseurs de ces derniers que l’on nommait des “guépardiers”. Les riches familles possédaient leurs propres guépards qui vivaient comme de véritables animaux de compagnie dans l’enceinte des maisons sans plus s’attaquer aux animaux domestiques du domaine.

Le thème de la chasse royale avec animaux vivants et notamment guépards, faucons et chiens lancés au milieu d’une nature exubérante après de malheureuses proies moins rapides et moins puissantes fut largement repris tant dans la décoration des extérieurs et des intérieurs des palais persans et ce jusqu’aux Safavides, comme motif ornemental du mobilier, des tentures et des tapis les plus précieux.

« On dressait les guépards à chasser principalement le lièvre et la gazelle car, plus rapide que le chien, le guépard peut rattraper ces deux animaux en pleine course sur terrain découvert. On le lançait sur sa proie, la plupart du temps depuis la croupe du cheval où il se tenait assis derrière le cavalier. Il fallait un long dressage, proche des techniques de la fauconnerie, pour obtenir de l’animal qu’il puisse monter et descendre de la monture sur ordre. Comme pour un faucon, son gardien lui couvrait les yeux d’un masque, qui n’était enlevé́ qu’au moment d’être lancé sur sa proie. Ainsi, le guépard était maintenu calme et ne chassait que sur ordre. Ces techniques de chasse, ancestrales, furent répandues dans tout le Proche-Orient, ainsi qu’en Perse et en Inde » Ibn Mangli

Observer “une scène de chasse” c’est donc souvent contempler une partie du patrimoine artistique et artisanal du pays.

Outre la représentation d’une pratique sportive réservée à une élite de la société d’une certaine époque, ces motifs renseignent également sur la multiplicité des espèces animales qui abondaient alors dans le désert. Si l’on chassait l’antilope et le lièvre, c’est aussi que tant le climat, que la présence de plantes nourricières et d’eau le permettaient.

Il est intéressant de se souvenir que cette espèce dite du “guépard asiatique” proliférait autrefois jusqu’en Asie du Sud Est en passant bien sûr par l’Inde et qu’aujourd’hui, son observation par les scientifiques nous renseigne également tant sur l’évolution de l’espèce que sur celle du morcellement des territoires

2. OBSERVER, PROTÉGER

Différent du guépard africain, le guépard asiatique est de plus petite taille et relativement plus léger. Il s’accommode parfaitement des sites enneigés et supporte des amplitudes thermiques allant de moins trente à plus de cinquante degrés.

Si au début d  qau vingtième siècle, la population mondiale en était de près de 100 000 individus, elle a été décimée en Iran par les maladies, l’accroissement de l’urbanisation mais aussi les conflits armés qui n’ont cessé de se dérouler sur leurs aires de vie.

Naturellement isolés, les guépards sont devenus de plus en plus furtifs et difficiles à observer notamment eu égard à la taille des espaces où ils se promènent, soit la moitié de tout le Pays !

Leur mode d’alimentation a lui aussi changé avec leur environnement. Ils s’attaquent principalement aux moutons et aux chèvres sauvages lorsqu’ils sont en zone montagneuse mais continuent à chasser lorsqu’ils en trouvent, de la gazelle en plaine.

Lorsqu’à la fin du siècle passé, on a commencé à constater l’accélération de leur disparition, ce sont des acteurs privés qui ont pris la relève pour accompagner l’État et des associations internationales pour soutenir les scientifiques et notamment les biologistes et les éthologues spécialisés dans l’approche de cet animal “dit” sauvage.

En 2014 toutefois, espérait–on qu’il en restait une centaine mais les caméras des deux centres d’observation de la vie sauvage de Touran n’ont déjà plus enregistré la présence que d’une quarantaine de sujets. Et fin 2021, il n’en restait plus que douze et peut-être même onze !

Etudier le mode de vie d’une espèce en voie d’extinction afin de tenter d’en sauvegarder quelques spécimens vivants suppose en effet des moyens en hommes et en matériel importants.

Si plus de 125 gardes surveillaient les quinze sites sur lesquels évoluaient au total ces animaux il y a une dizaine d’années encore, le Département de l’Environnement du Pays et le Projet de Sauvegarde du Guépard Iranien essaient de multiplier ce nombre par deux.

Equipés de véhicules et de motos tous terrains, formés, entraînés et rompus au dialogue avec les populations locales, des rangers (gardes officiels) sont aujourd’hui en charge chacun de 640 kilomètres carrés de terrain.

Sous leur houlette, ici on balise, on pose des capteurs de mouvements, on étudie les trajets des animaux, on leur aménage, des points d’eau, là on transporte des citernes roulantes au gré de leurs mouvements observés, là encore on réintroduit des lièvres ou des caprins. Afin de sauver l’espèce, il faudrait pourtant doubler encore l’étendue des surfaces protégées.

Toutefois la question de l’acquisition et de la conservation du matériel d’observation sophistiqué adéquat se pose-telle toujours car les sanctions économiques qui frappent le pays rendent difficilement accessible son acquisition.

C’est là que le soutien d’ONG comme PANTHERA ou STICHTING SPOTS devient essentiel puisqu’il permet en s’équipant de caméras et d’appareils photos spécifiques pilotés par ordinateurs d’observer de nuit comme de jour, sans les effrayer, les animaux sur leur lieu de vie.  Et ainsi connaissant mieux ces derniers, de contribuer à leur garantir non seulement la sécurité mais l’aptitude à se reproduire.

On avait pu observer ainsi à Touran l’existence d’une mère et de deux jeunes, mais fin 2021, une nouvelle portée a été observée sur ce même site. On a d’ailleurs donné un nom à cette femelle prometteuse, elle s’appelle HARB. Une autre famille enregistrée au préalable s’appelle la Famille TALKHAB.

Fin 2021 des gardes ont même photographié leurs empreintes.

Cette double tâche de surveillance et de protection reste contrariée tant par la complexité que les dimensions des espaces parcourus.  Ils se répartissent sur sept provinces iraniennes, mais on les rencontre principalement dans les Parcs Nationaux de Touran et du Kavir, dans la zone protégée de Bafk, et les réserves fauniques de Dar-e-Anjir et Naybandan.

Les guépards vont vite mais dans le passé nombre d’entre eux ont disparu, fauchés par des automobiles qui allaient encore plus vite qu’eux. Avec la raréfaction de l’eau, du gibier et de la nourriture, les réactions des agriculteurs et les chasseurs, c’est là la raison ultime de leur actuelle disparition.

Magnifié par la splendeur de son pelage et la raréfaction de sa présence en élément rassembleur d’une identité iranienne engagée dans la modernité, le guépard est également devenu le symbole populaire du ralliement des jeunes : les footballeurs en ont lancé la mode en 2014 en l’arborant fièrement sur leur tee-shirt flanqué de l’animal-totem de la nation. Depuis et grâce à eux, la cause du Guépard Asiatique est sortie du cercle étroit des historiens, des scientifiques et des amateurs d’antiquités persanes.

 

3. UN EXEMPLE PROMETTEUR

Certaines instances ont pu naguères se méprendre sur les finalités des appareils à infra-rouge employés par les scientifiques et les naturalistes travaillant sur le terrain pour suivre le déplacement des animaux.

Cette méprise fut fâcheuse dans un contexte où le temps joue désormais le compte à rebours pour les ultimes survivants de l’espèce mais il semblerait que la communication entre humains ait été depuis rétablie puisque des caméras observent à nouveau des passages d’individus d’un refuge (Miandasht) à l’autre (Touran).

La collusion est à la fois intéressante et dramatique, à noter en ce début d’année 2022, où les désastres climatiques ne font qu’accentuer la disparition des espèces les plus menacées.

Toutefois ce qui est rare est plus que cher : il n’a pas de prix. Et le désir de ceux qui ont besoin d’afficher publiquement leur pouvoir et leur fortune n’a fait que croître avec la raréfaction des grands félins qui se pourchassent et s’achètent à prix d’or sur certaines plaques tournantes de la planète comme Djibouti, Les Émirats Arabes Unis et naturellement les États Unis où l’on trouve des guépards y compris dans les parcs d’attraction de Floride .

Nous avons évoqué plus haut que cette mode ne datait pas d’hier et qu’au  temps de Xénophon, les mœurs et les échanges étaient déjà les mêmes. Toutefois aujourd’hui cette disparition animale-ci signe-t-elle non seulement l’extinction annoncée d’une espèce mais, on vient de le mentionner en évoquant l’important travail de communication et d’éducation à la vie animale que les rangers iraniens effectuent sur le terrain avec la population mais l’effacement d’une possibilité de coexistence pacifiée inter-espèces où hommes et animaux peuvent cohabiter sans se détruire et en respectant mutuellement leur territoire.

C’est en effet au nom de cette cohabitation réussie entre humains et non-humains que l’on observe désormais régulièrement année après année de Touran à Yazd et sur l’ensemble du Kavir qu’il nous a semblé important de soutenir modestement aujourd’hui à notre tour les membres de L’IRANIAN CHEETAH SOCIETY *qui œuvrent pour le sauvetage de cette espèce dans leur pays en rejoignant à côté de l’État et de leur Province, les mouvements internationaux de protection de l’environnement.

Germaine Le Haut Pas
21 Janvier 2022

 

* Iranian Cheetah Society (ICS)(WWW///wildlife.ir) a des locaux dans les Réserves de la Biosphère de Touran et de Behkadeh, mais aussi dans les Refuges Pour la Vie Sauvage de Miandasht, d’Abbas-Abad et de Dar e-Anjir

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